Dans une (nouvelle) brochure qui a pour objectif de présenter A2C à celles et ceux qui s’intéressent à cette organisation, nous tâchons de définir les boussoles qui nous rassemblent au sein de ce groupe politique. La première de ces boussoles est la trajectoire du capital et sa définition se conclut ainsi : « La trajectoire du capital ne nous emmène pas vers des possibilités de compromis ou d’apaisement. Au contraire, elle chauffe à blanc la société, augmente les dangers de la guerre, de la destruction environnementale et du fascisme. Elle ouvre aussi des possibilités à notre camp pour enfin prendre notre destin en main et transformer la catastrophe annoncée pour toustes en une catastrophe pour ceux d’en haut ».
Les Cahiers d’A2C #14 – septembre 2024
S’il n’y pas d’inflexion possible de la trajectoire du capital, il nous faut alors la supprimer. Pour cela, il nous faudra mettre tous nos efforts et notre attention pour développer tout ce qui permettra et tendra vers la révolte de masse et le socialisme. Cette tendance ne pourra se développer qu’à condition que celles et ceux qui construiront les mouvements à venir, les contestations, les révoltes soient armé·es d’arguments, de confiance et d’expériences face à celles et ceux qui voudront les canaliser dans les cadres et formes traditionnels.
Le mur
Quiconque a souhaité réagir face à la menace de voir le parti fasciste Rassemblement national arriver au gouvernement suite à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Macron s’est confronté·e avec plus ou moins de résistance à la canalisation de l’ensemble de son énergie et disponibilité vers l’activité électorale. Plutôt que de se mobiliser contre les fascistes, il aurait donc fallu convaincre des électeur·rices. Plutôt que de construire l’unité pour agir dans nos quartiers, nos lieux de travail, nos lieux d’étude, il aurait fallu s’en tenir à l’unité de direction autour d’un programme.
Il a fallu attendre deux ans pour que l’instabilité reflétée par les résultats des élections présidentielles et législatives de 2022 se matérialise par une dissolution et la tenue de nouvelles élections majeures. Entre-temps des mouvements de contestation de masse ont accentué la crise de légitimité et accéléré la crise politique. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Macron a dissous l’Assemblée nationale en juin 2024. C’est une manière pour lui de canaliser la colère dans le domaine électoral, de restreindre son opposition à un groupe parlementaire infiniment moins menaçant qu’un mouvement de contestation qui prend la rue et organise des grèves.
Avec les résultats des élections législatives de 2024, il est clair que l’instabilité s’est accrue. De même que la menace de prise de pouvoir par les fascistes. Cela suffit à tenter, à partir de l’expérience des derniers mois, de tirer quelques conclusions qui pourront nous servir à nous orienter quand le vent soufflera fort durant de prochaines élections qui pourraient de nouveau arriver au mois de juillet 2025.
Les urnes et (peut-être) la rue
L’histoire des débats et des expériences des révolutionnaires vis-à-vis des élections est riche ! Bien que les réponses pratiques aient varié, allant du (rare) boycott jusqu’à la participation en présentant des candidat·es en passant par le soutien plus ou moins critique à tel ou telle candidat·e, il y a malgré tout une forme de consensus autour de grands principes : bien qu’il n’y ait pas de voie parlementaire et électorale vers le socialisme, les élections continuent à être identifiées par des millions de personnes comme le seul moyen d’agir politiquement. Les révolutionnaires oscillent ainsi souvent entre une position de participation systématique et une autre de participation occasionnelle aux élections.
Sur la question du nombre de personnes qui croient suffisamment dans les élections pour aller voter (avec toutes les nuances que cela implique), il est important de mentionner qu’en France le taux de participation suit une tendance à la baisse, quelles que soient les élections depuis plusieurs décennies. Mais ça n’est pas la seule tendance qui joue sur le nombre. L’accès au vote, le taux d’inscription et la population totale jouent également ; si bien qu’il y a eu entre 35 et 37 millions de votant·es au 1er tour des élections présidentielles depuis 2007, soit bien plus de votant·es qu’en 1995 avec 32 millions, 1981 avec 31 millions ou 1974 avec 26 millions (année du taux de participation le plus haut).
En résumé, les révolutionnaires se retrouvent souvent autour de l’approche suivante : nous sommes en principe favorables à l’activité électorale, mais jamais comme une fin en soi, uniquement comme une forme d’action subordonnée à la lutte collective de la classe ouvrière. Cette approche n’est pas propre aux révolutionnaires et peut se formuler autrement. C’est d’ailleurs sous cette forme qu’il nous a été répété jusqu’à la nausée pendant la campagne des législatives : dans les urnes et dans la rue.
Face au danger fasciste, unité d’action
La lutte contre le fascisme ne se gagnera ni sur le terrain électoral ni sur le terrain des institutions. Il suffit pour s’en convaincre de voir les progrès réalisés par le FN devenu RN depuis plusieurs élections dans une séquence de recul des traditions antifascistes en dehors des périodes électorales. 13 millions d’électeur·rices aux élections présidentielles de 2022, 10 millions aux législatives et 143 député·es désormais à l’Assemblée nationale.
Cela suffit à conclure qu’il ne faut plus attendre ! Il y a urgence à faire reculer les fascistes et pour cela à attaquer dès maintenant le RN et les fascistes par tous les moyens sans attendre 2027 ou les prochaines élections législatives en cas de nouvelle dissolution. Cela commence par leur interdire la rue. Chaque meeting, chaque manifestation ou rassemblement doit faire l’objet d’une mobilisation antifasciste la plus massive possible. Voilà la seule unité qui vaille contre les fascistes, rassembler contre eux et dans la rue toutes celles et ceux qui ne sont pas avec eux. Aucune affiche, aucun autocollant, aucun militant fascistes dans nos quartiers !
Il faudra également contester chaque tentative à gauche qui irait dans le sens de normaliser la présence du RN à l’Assemblée, car elles rendraient les mobilisations de rue plus difficiles. On ne débat pas avec les fascistes, on ne signe pas de projet de loi ou de motion de censure avec eux. Face aux fascistes, tout est subordonné à la rue. Tout ce qui rend l’unité d’action plus difficile est à condamner, tout ce qui l’encourage et la facilite doit être développé.
Face au danger fasciste, solidarité antiraciste
Le racisme est le dénominateur commun des électeur·rices du RN. Cela ne signifie pas qu’il n’y a que les électeur·rices du RN qui soient racistes et il est important de dire que, bien que Macron ait eu à s’allier aux fascistes pour faire voter la loi immigration de Darmanin, il n’en a pas eu besoin pour rédiger le contenu. Le vote de la loi Darmanin l’a illustré : sur le dos des immigré·es avec et sans-papiers, c’est toute l’évolution de la société qui est concernée.
Laisser se développer les attaques contre l’immigration, les musulman·es, les racisé·es, c’est légitimer une société de plus en plus inégale, liberticide, nationaliste et sécuritaire. Et ouvrir la voie aux courants fascistes. Symétriquement, laisser se développer ces tendances c’est rendre de plus en plus difficile la lutte collective.
On ne peut plus reculer contre le racisme. Il ne suffit pas de ne pas être raciste, il faut être antiraciste. Dans chaque quartier, chaque lieu de travail, chaque lieu d’étude, il nous faut nous organiser pour développer la solidarité contre toutes attaques racistes. L’unité d’action ne sera suffisamment solide que si elle prend profondément ses racines dans une solidarité avec celles et ceux qui sont racisé·es, mulsuman·es, immigré·es, étranger·es avec ou sans-papiers. En 2023, il aurait par exemple fallu faire de la lutte contre la loi Darmanin une priorité du mouvement contre la réforme des retraites, puis organiser la solidarité avec les jeunes en révolte pour Nahel et contre les violences policières, combattre dans chaque établissement scolaire et chaque quartier l’interdiction de l’abaya, empêcher toutes les attaques contre les mosquées, les centres d’hébergement, dans les quartiers, etc.
Pendant les élections législatives de 2024, cela signifiait soutenir des candidat·es qui permettaient à travers leurs prises de position de mettre en avant les revendications et donc potentiellement d’étendre le mouvement de solidarité avec la Palestine, de résistance dans plusieurs colonies de l’État français en premier lieu la Kanaky, la Martinique et la Guadeloupe, du combat des collectifs de sans-papiers et mineur·es isolé·es contre la loi Darmanin et pour l’égalité des droits, des luttes des familles de victimes de violences policières.
Sauver les meubles ?
Souvent est revenu l’argument comme quoi il fallait participer à l’activité électorale ou au moins ne pas en être critique, car du résultat des élections dépendent les conditions dans lesquelles, nous vivrons, nous militerons. Il est important de préciser que, dire que les élections ne nous permettront pas d’éviter le fascisme et la guerre, voire qu’elles ne nous permettent pas d’obtenir des réformes majeures qui pourraient améliorer nos vies n’est pas la même chose que de dire qu’elles n’ont strictement aucun effet.
Si Mélenchon était président et la gauche majoritaire à l’Assemblée nationale, nos capacités à nous organiser pour obtenir des changements seraient amplifiées par rapport à ce qu’elles sont sous Macron. Pour commencer, les résultats électoraux ont un effet immédiat sur l’espoir de dizaines de millions de personnes à changer les choses, sur les discussions qu’on a, sur les sujets qui dominent dans la société, etc. Rien que pour cela, la position minimale dans les situations de campagne électorale vis-à-vis du vote doit être d’appeler à voter contre la droite. Mais il faut se rappeler qu’en 1981 la gauche avait gagné les élections présidentielles et législatives avec un programme bien plus radical que toutes les récentes tentatives d’union de la gauche et qu’elle ne l’a pas tenu plus de deux ans.
Mais même si l’objectif est vraiment de sauver les meubles et donc encourager quiconque à voter à gauche, est-ce qu’il ne vaut pas mieux organiser une assemblée dans son quartier, son lieu de travail, son lieu d’étude contre le fascisme et le racisme, est-ce qu’il ne vaut pas mieux que des millions manifestent en solidarité avec la Palestine, ne vaut-il pas mieux des grèves, des manifestations féministes, etc. ?
Il y a une disponibilité et une audience importantes durant les élections dont il faut se saisir. Pas pour canaliser vers les urnes, mais vers la rue et la lutte. Celles et ceux impliqué·es dans le mouvement doivent s’en saisir comme l’a fait Urgence Palestine récemment ou les collectifs de sans-papiers et la marche des Solidarités avec la Campagne Antiracisme et Solidarité en 2022, ou comme l’exemple des assemblées antiracistes et antifascistes lancées dans plusieurs quartiers et notamment à Rennes avant les élections législatives.
Dans les élections, pour développer une organisation révolutionnaire ?
Du fait d’une position qui, par principe, exclut le boycott systématique, les participations aux élections peuvent occuper une place importante dans les débats d’organisations révolutionnaires. On peut déjà constater que le NPA, le NPA-Révolutionnaire, Révolution permanente et Lutte ouvrière participent aux élections ou ont pour objectif de le faire. Sans connaître ni la place ni le contenu des débats internes à ces différentes organisations, il est probable que l’objectif de développer l’organisation et de convaincre des personnes de les rejoindre joue un rôle important quant il s’agit de décider de participer à des élections.
La participation aux élections est une décision importante pour une organisation dans le sens où elle oriente l’activité des membres de ces organisations et engage souvent des moyens financiers très importants. Pour se présenter aux élections présidentielles, il faut parcourir le territoire pour les 500 parrainages. Pour les élections législatives, il faut souvent des dizaines et des dizaines de candidat·es. Rien que cela pose des questions très pratiques comme le nombre de militant·es impliqué·es dans les élections plutôt que dans d’autres tâches et elles doivent être adressées avec la plus grande attention.
Mais le nombre ne joue pas que sur cet aspect mais aussi sur l’implantation. Se développer à travers les élections implique que les militant·es révolutionnaires qui mènent l’activité électorale et que l’organisation soient individuellement et collectivement perçues comme crédibles et réalistes en tant que révolutionnaire. Cette crédibilité se construit par les tests à travers lesquels les révolutionnaires font la preuve de leur stratégie. Plus concrètement, il faudra que les militant·es révolutionnaires aient, à l’échelle de quartiers et de villes, fait leur preuve auprès de la classe avant de convaincre réellement de l’organisation révolutionnaire et de l’importance de la développer. Ces tests ne pourront se faire que dans le mouvement et dans la lutte, c’est-à-dire dans l’évaluation par la pratique de nos analyses théoriques.