Un article rédigé mi avril 2017
« Quand le vieux se meurt et que le nouveau n’est pas encore né, dans ce clair-obscur, les monstres apparaissent ». À quelle période, cette formule gramscienne a-t-elle été aussi précieuse pour résumer les données de la situation ? Ainsi les organisations de la classe dirigeante ont été couvertes de rides. Dévastées par ces dizaines de milliers de personnes qui ont envahi les places, ces centaines de milliers qui ont élevé la voix contre les violences subies par Adama, Théo, Shaoyo. Desséchées par ces millions de travailleurs qui se dressent contre le chômage, la précarité et la pénibilité du travail, à l’image de ces infirmières qui ont refusé de faire des courbettes au voleur François Fillon. À l’heure où la lutte des populations guyanaises posent les questions de plus en plus politiques, partant de revendications patronales et ouvrières, peu anticoloniale mais prenant pourtant à son compte la cause des autochtones, les expériences de barrages et de grèves générales, donnent aujourd’hui l’espoir que notre classe devienne le principal animateur du mouvement et que les fusées coloniales restent à tout jamais sur leur rampe de lancement !Toutes ces actrices et tous ces acteurs refusent ce vieux consensus social et politique que fait entretenir une période électorale. Leurs primaires c’est l’aveu de leur mort, le PS a cru surgir de nouveau parmi les « sans dents » et aujourd’hui son gouvernement est confronté à une nouvelle vague de contestation qui risque de balayer ses fusées. Les Républicains n’arrivent toujours pas à faire mourir un centre qui n’a plus de raisons d’exister en ces temps de crise globale du système, et ne parviennent pas à dénicher leur figure providentielle. Oui cette classe dirigeante est carbonisée, leurs institutions ont moisi après de longues réactions chimiques : loi antisociale, état d’urgence, 49/3…
« Le vieux se meurt », à l’image d’une gauche qui n’arrive plus malgré ses élu-e-s, ses écharpes bleue-blanc-rouge, et ses dérives racistes à organiser en dehors des urnes cette haine envers ce système qui agonise. Les échecs de Tsipras et autres fossoyeurs que sont Corbyn ou Senders sont un frein pour organiser largement la population. Ainsi, les partis qui ont animé la classe dirigeante et ses relais, ses médiations au sein de notre classe sont entrain de crever. L’acharnement pour soutenir les goodyear à Amiens, la défiance exprimée envers les médiateurs que sont Willam Martinet, Philippe Martinez de la part de leurs propres militant-e-s syndicaux, la rage suscitée par les liens entre la préfecture de police et une partie du mouvement ouvrier chez des milliers d’opposant à la loi travail sont autant de cellules qui forment un embryon.
Ainsi, c’est bien les bilans individuels et collectifs de milliers de manifestant-e-s pour la dignité, de dizaines de milliers d’opposant-e-s au projet Notre-Dame des Landes, de centaines de milliers d’activistes à nuit debout, de millions de syndicalistes contre la loi travail et son monde qui achèvent une classe politique d’une part et qui à plus court terme démystifie à une échelle minoritaire des populations opprimées, les élections. Gramsci nous éclaire ici sur la capacité des classes dirigeantes à réciter ce mythe parlementaires « Le Parlement est un organe de libre concurrence. En y gagnant la majorité absolue, la classe propriétaire donne l’illusion à la multitude informe des individus que les intérêts des coffres-forts s’identifient aux intérêts de la majorité populaire. Puisque cette majorité bourgeoise est divisée en partis qui luttent entre eux pour apporter une solution plutôt qu’une autre aux problèmes inhérents au régime de propriété privée, on donne l’illusion que ce dernier ne doit pas être remis en question, mais qu’il s’agit tout simplement de la forme extérieure de cette institution et de l’ensemble des rapports qui en forment la superstructure. ». Si nombre des notres iront aux urnes le 23 avril, le bilan de ces derniers mois est limpide, l’arène électorale entièrement construite par les mains de ceux qui ont tout ne sera pas le seul cercle d’affrontement. L’enjeu actuel pour les anticapitalistes est bien plus de continuer à se regrouper et s’organiser autour des bilans d’expériences telles que la marche pour la dignité que nous proposons ici, que de se régaler de miettes que nous offre le système tous les cinq ans. La critique radicale des institutions est aujourd’hui largement audible en dehors des temps électoraux à condition de ne pas faire de l’abstention un préalable à l’action collective. Les échecs répétés des campagnes de « Génération ingouvernable » témoigne que l’émergence d’une conscience extra-institutionnelle est un processus, un objectif et en rien un acquis. En faire un préalable pour s’organiser en vient finalement à refermer les champs du possible autant que de participer à cette « mascarade électorale ».
« Le nouveau n’est pas encore né », comme les nombreux processus de confrontations qui n’ont pas encore donné la vie à un mouvement émancipateur unifié. Ainsi on est bien au stade de l’émergence de mouvements embryonnaires, des convergences qui doivent être féconde entre par exemple la présence de militant-e-s de goodyear à la marche pour la dignité. La résistance contre la répression syndicale, les violences policières ou encore le harcèlement policier vécu par des milliers de migrant-e-s a été le prétexte pour que des militant-e-s du mouvement contre la loi travail se retrouvent durant un an. L’émergence d’initiatives comme le 1er tour social le 23 avril au soir, l’émergence d’un renouveau mouvement anti F-haine qui se donne la capacité d’organiser des contre rassemblements dès que celui-ci fait un meeting ou sort dans la rue contre la venue de migrant-e-s sont d’autre signes encourageants.
« les monstres apparaissent », comme cette manifestation organisée par la CGT des dockers de Calais le 4 septembre 2016 appelant au démantèlement de la jungle au côté de nervis d’extrême droite. Si elle a été condamnée par l’Union Départementale, c’est bien l’un des secteurs les plus combatifs du mouvement contre la loi travail qui a été à l’origine de cet appel. Il ne faudra donc pas que des combats d’ampleur, des grèves et des blocages pour détruire le racisme. L’unité de notre classe, consciente de ses intérêts unanimes est un objectif, pourtant les gouvernements et les institutions racistes sont prêts à faire vivre les pires discriminations pour que nous n’arrivions pas à notre but. Cette oppression alimente la bête immonde à jamais affamée. La construction d’un parti fasciste n’est en rien accompli, ni même son arrivée au pouvoir, pourtant la construction du Front National est bien plus avancée qu’il y’a cinq ans et au moins pour trois raisons la thèse d’un danger fasciste ne peut plus être balayée par une majorité de la gauche.
- La crise des classes dirigeantes et le repli d’une partie de la bourgeoisie française sur des bases nationales invite à considérer pour une partie d’entre elle un attachement au parti qui défend les intérêts de la petite bourgeoisie.
- Le Front National cherche une arrivée au pouvoir par la voie légale tout en construisant un parti centralement organisé, qui met en mouvement les masses en se réclamant des intérêts d’une classe incapable de s’unifier qu’il faut mettre au pas avec un parti anti-démocratique : la petite bourgeoisie. En ce sens, la dédiabolisation du FN n’en fait en rien un parti populiste. À l’heure où le FN a intégré les identitaires en grande partie, entretien pour nombre de ses dirigeants des liens organiques avec le GUD, le fascisme reposant tant sur un parti en capacité d’agiter les masses que sur une force de frappe, la construction d’un parti de ce genre est bien un processus qui s’affirme devant nous.
- La gauche française ne parvient pas organiser la classe dans une confrontation majeure contre les classes dirigeantes. Ainsi, la bourgeoisie ne donne pas le pouvoir au fasciste pour se préserver des flux de la révolution mondiale mais bien par une incapacité à diriger après des victoires à la Pyrrhus sur le mouvement ouvrier.
Ce troisième bulletin de la tendance pour l’Autonomie de classe, vise donc par son article sur le fascisme en tant que projet politique à démontrer que la construction d’un parti de ce type s’observe par son action et pas par son prétendu programme. Les conditions de son arrivée au pouvoir ont des réalités actuelles. L’article sur les élections cherche à démontrer que l’affirmation d’une présence anticapitaliste ne permet pas la construction d’une force anticapitaliste qui agit en direction de l’émancipation en cette période actuelle. L’émancipation des opprimé-e-s sera l’œuvre des opprimées eux-mêmes, tirer des bilans de mouvement qui en pose les bases comme la marche pour la dignité sera l’œuvre du troisième article. Il ne faudra donc pas qu’une poignée de punch-lines sur un plateau télé pour faire reculer les fachos, imposer le contrôle ouvrier, ouvrir les frontières, mais bien imposer à la classe dirigeante des fronts de confrontations permanents et actifs !
GB, 14 Avril 2017