Ce mardi 6 juin des centaines de milliers de manifestant·es défileront dans toute la France à l’appel des directions syndicales pour la 14è journée nationale depuis janvier contre l’attaque sur les retraites.
En raison des chiffres en baisse, cette journée sera analysée largement comme la fin du mouvement.
Mais cette conclusion sera fausse.
D’abord parce que la baisse du chiffre de manifestant·es ne reflètera que l’impasse dans laquelle a conduit la stratégie institutionnelle des directions syndicales et l’absence actuelle de toute perspective sur le front des retraites alors que tous les recours institutionnels ont échoué et que la loi est passée. Devant cette impasse la majorité des travailleurs et travailleuses ne veulent pas gaspiller leurs forces en pure perte.
Mais surtout parce que, du coup, ce n’est pas là que les choses importantes se passent.
Devant l’impasse le mouvement a changé de forme. La combativité et la confiance gagnées par la révolte de masse contre le pouvoir est en train de nourrir des luttes locales sur les revendications salariales et les conditions de travail. C’est sur ce terrain que continue le processus engagé sur les retraites.
Vendredi dernier, 2 juin, les salariées d’un entrepôt de logistique de Verbaudet (vêtements, jouets et matériel pour les enfants) ont gagné sur leurs revendications salariales après 75 jours de grève. Ces femmes qui n’avaient jamais fait grève de leur vie, ont démarré leur grève pendant le mouvement des retraites. Et ces dernières semaines leur lutte était devenue emblématique.
Le samedi 3 juin près de 2000 salarié·es de Disneyland en région parisienne ont manifesté dans les allées du parc d’attraction pour le même type de revendications. C’était leur troisième journée de grève et de manifestations et le mouvement se développe.
Le 7 juin les salarié·es des librairies feront grève dans plusieurs villes du pays pour leurs salaires.
Il y a des points communs entre ces exemples. A Verbaudet la grève est née suite à un piquet organisé pendant le mouvement des retraites devant l’entrepôt par des syndicalistes extérieurs à l’entreprise. C’est ce qui a donné la confiance à un groupe de salarié·es pour lancer la grève sur leurs propres revendications. La grève reconductible s’est construite sur la base de piquets et d’assemblés hebdomadaires.
L’appel à la grève des libraires est née d’une nouvelle organisation, le Bookbloc, coordonnant les salarié·es des librairies, très majoritairement non syndiqué·es jusque-là, pour participer au mouvement des retraites au travers d’assemblées hebdomadaires.
A Disneyland le mouvement, impliquant individuellement des syndiqué·es est né en dehors des syndicats. Les syndicats ne l’ont rejoint qu’à partir de la deuxième journée et le mouvement a sa propre structure, le Mouvement anti-inflation.
A Marseille, le samedi 3 juin, des salarié·es et membres de divers collectifs ont largement perturbé une célébration officielle d’un musée emblématique de la ville. L’initiative est née des contacts établis pendant le mouvement des retraites pour tenter de coordonner différents secteurs. Une Assemblée des travailleurs de la culture s’est ainsi constituée avec notamment des salarié·es en lutte d’un sous-traitant de ce musée. Les différentes actions ce 3 juin ont fait le lien avec la lutte contre le projet de loi anti-immigration du gouvernement et la solidarité avec les migrant·es.
La stratégie des directions syndicales, privilégiant les manifestations à la grève et totalement orientée vers des solutions institutionnelles, a totalement dominé le mouvement pendant des mois en l’absence de formes d’organisations de base capables de forger une stratégie alternative. Mais le processus né en janvier ne s’est pas arrêté pour cela. Et la multiplication des conflits localisés est la base sur laquelle le mouvement peut commencer à construire ce qui lui a manqué jusque-là.
D’autant que ces conflits ne se limitent pas aux questions économiques. Ce dimanche 4 juin des milliers d’antifascistes ont défilé dans les rues de Paris en hommage à Clément Méric, un militant tué par les fascistes il y a dix ans. Le 17 juin et 8 juillets prochains des journées nationales de manifestation sont organisées contre un projet de loi raciste et anti-migrants du gouvernement. Le même 17 juin des centaines de syndicalistes se réuniront à Paris pour discuter de la lutte contre l’extrême-droite.
Le très faible niveau de coordination de toutes ces initiatives est le propre de cette phase du mouvement. Mais, reflet de l’absence de direction conséquente donnée par la gauche, elle est le terreau sur lequel peut commencer à se construire une alternative.