Le pouvoir est à la rue !

Les Cahiers d’A2C #15 – décembre 2024

Dockers, fonctionnaires, cheminot.es, travailleurs et travailleuses du privé, les grèves de ce mois de décembre montrent que la conflictualité sociale n’est pas enterrée. 

C’est une nouvelle preuve que Macron n’a pas réussi à utiliser le passage en force de la réforme des retraites pour briser le mouvement social et notamment les syndicats.

Mais alors que la crise politique « par en haut » s’accélère à nouveau, il est plus qu’urgent de tirer le bilan de l’expérience et de l’échec du mouvement des retraites pour que cette conflictualité fasse émerger les formes d’auto-organisation et de direction alternative qui ont manqué en 2023.

Pourquoi avons-nous échoué ?

On parle d’un mouvement de masse. Deux tiers de l’opinion était opposée à la réforme. De janvier à juin, 14 journées massives de manifestation ont réuni, pour la plupart, de 2 à 3 millions de personnes dans la rue. Cela s’est accompagné de grèves. 

L’unité syndicale, incarnée par la création de l’Intersyndicale, a joué un rôle dans l’impulsion de départ pour susciter un large mouvement. Mais la légitimité tirée comme direction du mouvement a aussi eu un prix à payer. Rappelons-nous que le mouvement a été dominé de bout en bout pas la stratégie institutionnelle des directions syndicales.

Tant dans ses formes que dans ses revendications le mouvement a été construit non comme un antagoniste au pouvoir mais comme un moyen de pression sur l’Assemblée nationale. Les directions syndicales ont tablé sur la création d’un mouvement d’expression massif de l’opposition à la réforme plus que sur un mouvement de lutte. D’où la succession de journées nationales de manifestation calées sur le calendrier parlementaire, puis celui du Conseil constitutionnel. Ce n’était finalement pas en tant que travailleurs ou travailleuses que nous étions appelé.es à nous mobiliser mais en tant qu’électeurs et électrices.

D’où le refus d’organiser un « blocage du pays » et de construire un mouvement de grève générale.

D’où aussi la limitation du mouvement à la seule question de la réforme elle-même. Alors que Darmanin préparait sa loi ouvrant la voie au RN. Alors que les 30 000 manifestants de Ste Soline montraient la disponibilité pour une généralisation politique dans l’affrontement avec le pouvoir. Alors que la participation impressionnante à la grève féministe le 8 mars démontrait que l’unité de notre classe se construit aussi sur d’autre terrains que la lutte strictement économique.

Une raison objective

Un courant comme Révolution Permanente a fait de la politique des directions syndicales l’argument central, si ce n’est unique, de l’échec du mouvement. Assez logiquement il en a déduit qu’il fallait construire une direction alternative et se concentre largement depuis sur la construction DU parti.

La plupart des courants de la gauche radicale – comme le NPA – ont adopté la position opposée en refusant de critiquer la politique des directions syndicales sous prétexte qu’il n’existait pas d’alternative. La responsabilité de l’échec était mise alors sur le supposé manque de combativité de notre classe et l’analyse générale de la période comme produit d’un rapport de forces dégradé.

Cette analyse s’appuie sur des faits objectifs dont beaucoup d’entre nous ont fait l’expérience au sein du mouvement : la faiblesse – pour dire le moins – de structures d’auto-organisation jusque dans les secteurs en lutte. Cette absence a été reliée aux résultats d’études montrant la faiblesse et l’hétérogénéité des implantations syndicales et, surtout, le recul, au sein des sections syndicales de traditions de mobilisation active pour la lutte.

Mais ces deux analyses partagent le même défaut : une vision figée de la lutte de classe et l’idée que les solutions politiques viennent de l’extérieur. C’est ce qui explique sans doute que des personnalités proches de ces deux courants ont sont arrivées à défendre cet automne, dans une tribune initiée notamment par Frédéric Lordon et Stathis Kouvélakis, que les député.es NFP devaient voter une proposition du RN pour abroger la réforme des retraites.

Articuler critique et réponse concrète

L’argument du manque d’alternative est un raisonnement qui s’auto-entretient : puisqu’on n’a pas fait ce qu’il fallait, continuons comme ça et la prochaine fois nous serons dans la même situation (et nous pourrons à nouveau utiliser les mêmes arguments ) !

Pourtant le mouvement des retraites a démontré qu’il fournissait lui-même les ingrédients pour dépasser ses faiblesses. Pour la première fois depuis des années les syndicats ont inversé la tendance à la diminution de leurs effectifs. Plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses ont rejoint la CFDT et la CGT. Des liens se sont renforcés avec le mouvement féministe. Pendant plusieurs mois les Soulèvements de la terre ont mobilisé des dizaines de milliers de personnes. Les révoltes qui ont suivi l’assassinat de Nahel ont montré la capacité de colère dans la jeunesse des quartiers. Après le 7 octobre le mouvement de solidarité avec la Palestine a démontré la capacité de radicalisation dans la jeunesse.

Si on arrête de penser la lutte de classe comme la succession de moments déconnectés les uns des autres mais comme un processus, la question ne devient plus : « était-il possible de gagner ou pas ? » résumée en « existait-il une alternative aux directions syndicales ou pas ? » Mais plutôt : existait-il la possibilité de commencer à la construire ?

La croissance des effectifs syndicaux, les tentatives de certains secteurs pour lancer un mouvement de grève reconductible, la disponibilité d’activistes pour aller soutenir les piquets de grève des éboueurs ou des raffineries, les manifestations sauvages qui ont suivi le passage en force de la loi, la popularité du slogan « et nous, aussi, on va passer en force », tout cela a témoigné que des dizaines de milliers de jeunes et de travailleuses et travailleurs étaient en position de construire une autre stratégie.

Cela démontre la nécessité de regrouper ces activistes sur une base qui articule la critique de la politique des directions politiques et syndicales avec les initiatives concrètes pour construire les formes d’organisation de base, les formes d’auto-organisation dans les lieux de travail, les facs, les quartiers. Qui articulent la lutte politique, contre le racisme, contre le sexisme et la transphobie, contre le colonialisme et le fascisme avec la lutte économique. Parce que l’unité et la solidarité de classe, conditions nécessaires à l’affrontement avec le pouvoir ne peuvent se construire que par la solidarité de classe concrète. Qui montrent donc que c’est possible et rendent concrète l’alternative.

C’est maintenant

Il est bien sûr impossible de dire à l’avance comment va évoluer le mouvement de conflictualité sociale.

Ce qui est par contre sûr c’est que c’est là que se trouve le terrain des solutions et pas dans les manœuvres tablant sur les solutions institutionnelles pour aboutir à un gouvernement plus ou moins « de gauche ».

Car il ne s’agit pas uniquement des grèves. Un des effets de cette situation – et sans doute une des conséquences du mouvement de 2023 – est que les syndicats – pour le meilleur et pour le pire – ont aussi joué ouvertement le rôle de direction politique. Cela s’est notamment traduit dans le rôle joué par la direction de la CGT lors de la séquence électorale qui a suivi la dissolution. Mais aussi dans sa volonté, selon ses propres termes – d’organiser la confrontation avec le pouvoir pour lutter contre la politique anti-migrant.es.

Le bilan du mouvement des retraites nous donne donc une feuille de route. Chaque grève locale, aussi limités soient ses objectifs, est le terrain sur lequel peuvent se construire/reconstruire à la fois l’organisation de lutte de base et la tradition de mobilisation active. Chaque mouvement de grève plus global favorise les liens, avec d’autres secteurs, avec la mobilisation de quartier, etc. L’appel syndical à participer aux mobilisations contre le racisme, contre le sexisme etc. n’est certainement pas une garantie de la politique qu’y joueront les directions. Mais elle est la porte ouverte pour construire, au sein des syndicats, le combat pour l’unité de classe, développer les liens entre organisations sur les lieux de travail et organisation sur les quartiers.

Ce ne sont pas des injonctions de l’extérieur qui permettront d’avancer dans ce sens mais l’intervention active et concrète de chacun.e dans son lieu de travail, dans son quartier et la coordination de ces expériences. C’est au travers de cette intervention que doit se développer une organisation des révolutionnaires. Non comme direction du mouvement mais comme outil nécessaire pour la faire émerger, dans le mouvement et pour le mouvement.

Denis Godard (Paris 20)