L’élection aura bien lieu…et alors ?

Un article rédigé mi avril 2017
Rédigé à l’aune de quatre mois de lutte intense contre la  loi travail et son monde, un pamphlet nous invitait à imaginer l’éventualité d’une annulation de l’élection présidentielle. « soudain la campagne déraille, les primaires s’enferrent , les communicants paniquent. Le scénario change. La télévision est éteinte. Les affiches arrachées. Les meetings empêchés. Les bureaux de vote bloqués.Les bulletins incendiés. La comédie terminée. La vieille politique congédiée… »
Chaque épisode intense de la lutte des classes, chaque rupture massive et prolongée avec l’idéologie dominante produisent leurs lots de frustrations, de refus du retour à la survie, et au travail forcé. Comment après avoir vécu la démocratie directe des nuits debout, les manifestations jouissives où les symboles   du capital, banques, assurances, panneaux publicitaires étaient tagués, cassés, désacralisés, ridiculisés, pourrions nous tout à coup nous séparer, en attendant  le prochain épisode ?…Alors on se console en prononçant  des sentences de réconfort : « rien ne sera plus jamais comme avant … Aujourd’hui dans la rue, demain on continue…c’était une répétition générale. » Oui, l’élection aura bien lieu, et faute d’un débouché politique révolutionnaire , une  partie des insurgéEs du printemps – ne nous en déplaise –  yparticiperont.
Géré de main de maître dés la rentrée scolaire par le gouvernement et les partis institutionnels, le planning de la campagne électorale s’est imposé comme l’événement majeur de l’année auquel devait se soumettre, à défaut de s’y intéresser, toute la population, y compris les millions de celles et ceux qui n’ont pas le droit de vote ou qui n’ont pas l’intention de participer à la grande fête républicaine. Du 9 septembre 2016 date de dépôt des déclarations de candidatures pour la primaire de droite, au 18 juin 2017 ,date du deuxième tour des élections législatives, rien ne nous sera épargné : petites phrases des candidats, trahisons et retournements en tous genres, escroqueries et mises en examen…Tel des souris de laboratoire, « des échantillons représentatifs » sont chaque jour sondés jusqu‘à plus soif…A moins d’habiter dans une caverne, de ne pas lire les journaux, d’avoir ni radio ni télé, ne pas fréquenter bars et restaurants, impossible d’échapperàcettelonguetragi-comédie,véritablechapedeplombtotalitaire.
 
Le bon, la brute,  et le truand
Devrions nous être révérencieux devant  ce « festival de la magouille, ce grand défilé des embrouilles » (François Béranger) ?  Certains journalistes n’hésitent plus à employer des expressions relevant du vocabulaire des chroniqueurs de la presse sportive  pour pigmenter leurs éditoriaux  « Marine Lepen, maillot jaune fait la course en tête, suivie de 3 échappés du peloton » (France inter au journal de 8h00 lundi 12 avril)  Pourquoi ne pas s’essayer  au casting du célèbre western spaghetti : Le bon,  Macron, tronche de premier de la classe, de gendre idéal, ou d’agent immobilier, sourire niais, bon client pour les unes des tabloïds, ni de droite, ni de gauche bien au contraire, insipide à tel point qu’on en oublierait presque qu’il était encore ministre il y a quelques mois, laissant pour souvenir une des pire loi de régression sociale…La brute, Marine Lepen, fasciste décomplexée, qui après avoir patiemment lissé son personnage en 15 ans d’une dédiabolisation complaisamment  accompagnée par les médias et « politologues » patentés.(voir dans le bulletin l’article de Vanina) Le truand, Fillon, seul candidat qui  s’adresse  à ses électeurs comme un mafioso « Je ne vous demande pas de m’aimer, je vous demande de me soutenir ».  Etiquement et moralement incapable  de susciter  une quelconque empathie avec son personnage, voleur de biens publics revendiqué, François Fillon  n’a plus d’autre alternative que mobiliser sa classe pour défendre ses intérêts. Il est assez croustillant que les cathos intégristes de « sens commun » attachés soi disant aux valeurs de l’église soutiennent activement une telle canaille !
Titanic
Sorti vainqueur de la primaire du Parti Socialiste « la Belle alliance populaire » (sic) Benoît Hamon au fil des jours voit sombrer sa campagne. Incapable de donner chair à la mesure phare de son programme, le revenu universel  garanti, délaissé par les caciques du parti, l’ex ministre « frondeur »  ne compte plus les défections de son camp. Alors que l’orchestre de Solférino a cessé de jouer, François Hollande lui porte l’estocade finale en s’exprimantouvertementenfaveurdu« sociallibéral »Macron,précipitantlafinduPSsoussaformeactuelleentoutcas.
Les habits neufs du président Mélenchon
Dans ce marché de dupes que constitue l’élection présidentielle, la bourgeoisie détient à elle seule tous les leviers : les institutions de la cinquième république, les médias, les instituts de sondages au fonctionnement des plus opaques…C’est elle qui décide du casting  le plus favorable à ses intérêts. La montée en puissance des intentions de vote pour le candidat de la France « insoumise » en quelques jours  a suffi pour qu’elle envoie ses chiens de garde au combat, articles anticommunistes haineux dans le Figaro, alarmisme économique dans les échos, prises de positions de ses pseudos intellectuels affidés. A en croire ces braves gens, la victoire de Mélenchon précipiterait la France dans le chaos et la guerre civile. Cette dramatisation est bien inutile. L’ancien sénateur et ministre de François Mitterrand  n’a aucune intention de renverser la table ou de bouleverser les règles du jeu. Habité par la fonction, il ne manque pas une occasion d’exalter l’amour de la patrie, allant même jusqu’à distribuer des centaines de drapeaux tricolores à ses fans lors du rassemblement  parisien du 18 mars, jour anniversaire du début de la commune. On ne fera pas ici l’injure à la France insoumise d’ignorer que c’est drapeau tricolore  brandi que les versaillais écrasèrent la commune de Paris ! N’oublions pas le « flou » pour rester poli  qui entoure sa position sur l’accueil des migrantEs et son opposition au droit d’installation…
« l’important, c’est de participer » (Pierre de Coubertin)
Depuis 1969, l’extrême gauche institutionnelle participe systématiquement à l’élection présidentielle. Après avoir  pertinemment fustigé « la farce électorale » et « le crétinisme parlementaire, une infirmité fondamentale, une myopie absolue pour tout ce qui a trait à la nature de l’Etat » Alain Krivine  décidait de se présenter à l’élection suprême. Pour résumer, l’argument principal était de donner une représentation au grand mouvement de Mai 68 et de construire le parti. Notons qu’à cette époque, le gaullisme avait le quasi monopole de l’information, avec ses trois chaînes de télévision. Internet et les réseaux sociaux n’existaient pas, et la contre propagande ne s’organisait qu’à travers la presse militante. S’insérer légalement dans la campagne pour y prendre la parole pouvait se discuter, bien qu’un large partie du mouvement y était  opposée. Le résultat fût un désastre : 1,1% de voix. Loin de remettre en cause cette stratégie menant à l’impasse,  rejoints en 1974 par la candidature d’Arlette, l’extrême gauche institutionnelle pendant près d’un demi siècle a fait de la participation aux élections son orientation fondamentale, sombrant dans le« réformisme de gauche »  et le légalisme. Il est significatif que le début de l’actuelle campagne du NPA était essentiellement bâtie autour du mot d’ordre « Philippe Poutou doit en être. »…en être, mais de quoi ? Le rôle des révolutionnaires est-il de rabattre vers les urnes de la bourgeoisie les acteurs du mouvement social et les oppriméEs en nourrissant chez eux/elles l’illusion qu’une victoire électorale serai à terme la seule solution pour prendre le pouvoir ?
Comme le résume Alain Badiou « le pitoyable show de l’élection présidentielle, sans épargner une seule candidature, sans éprouver à leur juste valeur de soi disant programmes de réconciliation  nationale au nom d’un républicanisme nauséabond de quelques bonnes consciences molles, se révèle pour ce qu’il est, une mauvaise pièce de théâtre que seuls les acteurs de la soumission acceptent de jouer. »
AP, 13 Avril 2017