Introduction à un meeting à Marxism 2017 en compagnie de Richard Boyd-Barrett (député irlandais pour People before Profits), Christine Bucholz (députée allemande pour Die Linke), Maria Syllou (dirigeante du SEK en Grèce)
Je vais commencer en cassant le discours dominant sur Macron et la France.
Macron n’est pas nouveau. Comme vous le savez il a été banquier et ministre de l’économie.
Macron n’est pas propre. En quelques semaines trois de ses ministres clef ont dû quitter le gouvernement à cause d’accusations de corruption. Et l’actuelle ministre du travail est attaquée aussi.
Macron n’est pas modéré. Il a prévu de supprimer plus de 100 000 postes dans la fonction publique et prépare une nouvelle “loi travail” qu’on appelle déjà “loi travail XXL”. Mais, politiquement aussi, Macron n’est pas une sorte de « libéral ». Il a déjà annoncé une nouvelle loi « antiterroriste » renforçant l’Etat policier et, symboliquement, il a invité Trump au défilé militaire du 14 juillet.
Mais surtout Macron n’est pas fort. Son régime est le plus instable depuis le début de la 5ème République en 1958.
Oui il a gagné une large victoire aux élections législatives avec 370 députés sur 577. Mais ses candidatEs ont obtenu seulement 16% des votes des inscritEs au premier tour. Au deuxième tour l’abstention a battu des records. On peut estimer que moins d’une personne sur 4 au-dessus de 18 ans et vivant en France, inscritEs, non inscritEs ou étrangerEs, ont exprimé un choix quelqu’il soit.
Et c’est sans parler du manque de cohésion de son – nouveau et hétéroclite – mouvement et de son groupe parlementaire.
Ce manque de légitimité prend tout son sens dans la perspective annoncée de nouvelle crise financière dans une situation où la position du capitalisme français sur le marché global s’est particulièrement affaiblie depuis 10 ans vis-à-vis des autres pays développés.
Cela devrait être un avertissement pour tous et toutes dans un contexte où un parti fasciste, le Front National, a obtenu 11 millions de voix au second tour des présidentielles.
Cependant si les crises politiques et l’instabilité sont certaines, le développement du fascisme n’est pas une fatalité. Parce qu’il y a une autre face à l’instabilité qui est le haut niveau de combattivité de notre classe.
Tout le monde a entendu parler du fort mouvement de l’année dernière, non seulement les journées nationales de grèves et de manifestations mais aussi les places occupées, les manifestations sauvages, les affrontements avec la police, la radicalisation politique.
Ca ne s’est pas arrêté avec la campagne électorale. Un camarade a estimé que de janvier à mars il y a eu 1 million de journées de grèves, principalement locales, souvent invisibles dans les médias nationaux, un niveau sans précédent durant une campagne électorale.
Il y a eu l’audience pour les mouvements contre les violences policières autour du cas d’un jeune Noir, Adama, tué par la police en juillet dernier, prenant un nouvel écho avec le viol d’un autre jeune homme, Théo, par la police en février.
Après le destruction du camp de Calais les migrantEs ont été disperséEs dans différents lieux mais cela a diffusé le mouvement de solidarité sur tout le territoire. Et ces mouvements contre les violences policières et le racisme ont convergé en une manifestation de 15 000 personnes à Paris le 19 mars. Encore un fort résultat dans une période électorale.
Il faut ajouter au moins deux événements significatifs.
Le premier est le grand mouvement de révolte dans la colonie française de Guyane qui a finalement gagné après plusieurs semaines contre l’Etat français. Il y a même eu une manifestation qui a regroupé 10% de la population. L’équivalent d’une manifestation de 6 millions en métropole !
Le second, moins massif, mais politiquement significatif, est le fait qu’il y a eu des manifestations, principalement menées par de jeunes activistes contre les meetings du Front National pendant la campagne, avec plusieurs milliers de manifestantEs à Nantes, à Bordeaux et à Paris. En Corse de jeunes activistes sont même allés perturber le meeting à l’intérieur.
On pourrait aussi parler des 7 millions de voix et des meetings de masse réalisés par Mélenchon qui ont en partie exprimé la radicalisation, au travers un profil radical contre l’austérité.
Ce qui signifie qu’il n’y a pas de lune de miel pour Macron : tout cela met la pression sur les directions syndicales et la CGT a appelé à une journée de grèves et de manifestations pour le 12 septembre.
Nous devons dire que la grande faiblesse dans la situation est l’état de la gauche organisée, organisationnellement et politiquement. Le crise – est-ce la crise finale ? – du parti socialiste est une bonne nouvelle. Même leur candidat aux présidentielles, Benoît Hamon, a décidé de quitter le parti pour construire son propre mouvement.
La figure dominante à gauche est maintenant Jean-Luc Mélenchon. Mais il y a de gros problèmes avec lui.
Dans le processus de sa campagne il a affaibli les organisations politiques qui le soutenaient au profit d’un mouvement très anti-démocratique et centré sur lui-même. Politiquement il a quasiment abandonné les références à la lutte de classe pour un profil nationaliste, proclamant même qu’il était un patriote, argumentant même que la seule solution pour les migrants était de rester chez eux car la France ne pouvait pas les accueillir. Significativement il a abandonné les drapeaux rouges et l’Internationale dans ses meetings pour le drapeau français et la Marseillaise.
Soyons clairs, il n’y aura pas de perspectives pour notre classe et pour une véritable gauche sans la construction de l’unité de classe. Dans un pays où un tiers de notre classe est arabe ou noire cela implique un positionnement clair contre le racisme, non seulement en paroles ou en théorie mais aussi en actes, un positionnement clair contre l’islamophobie, les violences policières et une solidarité totale avec les migrantEs.
La France est actuellement l’exemple que l’instabilité, les crises politiques et le développement de confrontations seront des aspects communs pour nous tous et toutes. Même si les conditions subjectives dans lesquelles nous opérons sont différentes d’un pays à un autre.
Cela créera d’immenses dangers mais aussi d’énormes opportunités pour les révolutionnaires. Ce qui signifie que nous avons besoin de construire une cohérence stratégique comme condition à l’agilité tactique nécessaire pour saisir ces opportunités.
Denis Godard, Londres, le 9 juillet 2017