Tout est fait pour nous faire oublier les cinq mois de luttes intenses contre la loi « travaille ! » et son monde. C’est pourtant là que les questions politiques ont été le mieux exprimées et testées. Tout est fait pour suspendre la résistance collective des exploité.e.s et des opprimé.e.s, et la campagne présidentielle actuelle ne fait que le confirmer.
Car d’un côté, la classe dirigeante française compte intensifier les politiques d’austérité. Dans la compétition internationale, le capitalisme français est depuis 2008 particulièrement en difficulté : dans le secteur industriel par exemple, des milliers de faillite ont eu lieu sur dix ans, la production a baissé, 500 000 emplois ont été détruits entre 2008 et 2013 et les exportations ont chuté.
L’Etat est devenu central pour restaurer la compétitivité, mettre en place les dispositifs coercitifs nécessaires et réduire les droits démocratiques et. Depuis novembre 2015 il y a l’état d’urgence. Il y a eu la répression intense des manifestations contre la loi travail, et il y a eu le passage en force de cette même loi, sans vote du Parlement.
Ce basculement autoritaire de l’Etat suffira-t-il à restaurer la profitabilité de la classe dirigeante française ? Rien n’est moins sûr. C’est pour cela que le Front National peut se présenter comme une alternative à l’Etat français qui n’arrive pas à régler les « désordres » internes et internationaux. Oui, il y a bien un danger fasciste en France.
De l’autre, il y des millions de personnes qui contestent dorénavant l’ordre établi. Durant le mouvement de l’an dernier, cela s’était traduit par des grèves, des blocages et un mouvement politique d’occupations de places pour débattre de la stratégie pour changer le monde. Depuis la fin de ce mouvement, les grèves restent nombreuses (et parfois victorieuses) et des convergences continuent de s’opérer, notamment avec les quartiers populaires. Les violences policières, meurtre d’Adama Traore en juillet 2016, viol de Théo Lahuka en février, assassinat il y a deux semaines de Liu Shaoyo ont provoqué à chaque fois des manifestations spontanées de plusieurs milliers de personnes. C’est dans ce contexte que la manifestation du 19 mars à Paris, réunissant plus de 10 000 personnes pour affirmer notre opposition aux violences policières, au racisme et à la chasse aux migrants, a été la plus importante sur ces questions depuis plusieurs années. Aucune organisation politique n’a réellement construit ces mouvements : ils sont essentiellement le résultat de réseaux et d’équipes militantes qui, plutôt que s’impliquer dans les élections, ont décidé de poursuivre leur activité de construction à la base des mobilisations, et d’implantation dans différents secteurs de la société.
Du coup, la situation est très instable. Les confrontations massives ne sont plus des parenthèses, et ce pourrait être les élections qui le deviennent. Et même si la classe dirigeante a cherché à reprendre la main par ce biais, aidée en cela bon gré mal gré par les partis en campagne, jamais le résultat des élections n’aura été aussi incertain. Reflets de la polarisation sociale et politique, rien ne sera réglé quel que soit le résultat.
Les partis traditionnels de la droite et de la gauche sont en crise. A grand renfort médiatique, Les Républicains comme le Parti Socialiste ont organisé des primaires, et tous ceux qui étaient le plus identifiés aux gouvernements passés ont été balayés. A droite, Nicolas Sarkozy a été éliminé au profit de François Fillon, qui maintient sa candidature alors qu’il est mis en examen pour avoir détourné des dizaines de milliers d’euros de fonds publics. Au PS, François Hollande ne s’est pas présenté parce qu’il battait des records d’impopularité, et Manuel Valls a été battu. Le candidat élu, pris en tenaille entre ses liens avec le gouvernement actuel et la nécessité de s’en dissocier, est actuellement à moins de 10% des intentions de vote.
Du coup, ce sont les candidat.e.s situés hors des courants traditionnels qui mènent la course électorale. Mais sur ce terrain, il faut de solides appuis.
Phénomène nouveau, Emmanuel Macron, ancien ministre ultralibéral de Hollande, a réussi à percer hors des partis, en se présentant comme n’étant « ni de droite, ni de gauche », mais personne ne voit comment il pourrait gouverner.
Beaucoup moins nouveau (on connaît le problème depuis 2002), tous les sondages ont donné durant des mois la candidate du Front National en tête du premier tour des élections. Il existe pourtant une force capable de le contrer : lorsque 70% de la population soutenait le mouvement de grèves contre la loi travail, ce parti s’est retrouvé en difficulté. Et s’il est vrai que cela n’a pas suffi, il y avait là l’opportunité de lancer une campagne massive contre les principales motivations du vote FN : le nationalisme, le racisme et le renforcement de l’État policier. La Marche du 19 mars était une opportunité, mais ce n’est pas le choix qui a été fait par les partis de gauche en campagne.
Pourtant, ce climat contestataire bénéficie depuis quelques semaines à Jean-Luc Mélenchon, au point que certains pronostiquent la possibilité qu’il se retrouve au second tour des élections. Mais plutôt que de s’appuyer sur et renforcer le mouvement de radicalité, il a choisi de s’adapter sur la droite. Lors de son rassemblement du 18 mars, réunissant des dizaines de milliers de personnes, il a interdit tout drapeau de partis, tandis que des milliers de drapeaux français étaient distribués à la foule. Il n’y a pas eu d’appel de sa part à la manifestation antiraciste du lendemain. Et alors que le FN prévoit un meeting central à Paris à la fin de la semaine et qu’une mobilisation unitaire s’organise contre lui, lui et les organisations qui le soutiennent ont décidé de ne pas appeler à manifester.
Du côté du NPA, Philippe Poutou trouve une audience chaque fois qu’il exprime cette radicalité, mais beaucoup (trop) d’énergie a été dépensée pour parvenir à présenter un candidat, et l’est encore actuellement pour exister dans l’arène médiatique.
Les grandes mobilisations antifascistes et antiracistes internationales du 18 mars montrent les possibilités, quand on est déterminé.e.s. La révolte qui a éclaté en Guyane, une des dernières colonies françaises, est bien plus proche de la réalité du monde qui vient que ce qui se joue dans les élections. Il nous faut regarder au-delà des frontières pour avancer, alors rendez-vous à Marxismos pour en discuter !
Vanina Giudicelli. Le 14 Avril 2017
Article écrit pour le journal de l’organisation grecque SEK, Parti Socialiste des Travailleurs