Un monde de production de marchandises est un monde de concurrence entre les producteurs. La compétition économique avec l’accumulation de moyens de production et la compétition militaire avec l’accumulation de moyens de destruction ne peuvent se mener l’une sans l’autre et sont les jauges de cette concurrence qui permettent d’illustrer l’interdépendance mutuelle des États et des capitaux nationaux.
Les Cahiers d’A2C #04 – SEPTEMBRE 2022
« Un État peut négliger les intérêts de certains capitalistes, mais il ne peut pas oublier que ses revenus et sa capacité à se défendre contre d’autres États dépend de la continuité de l’accumulation capitaliste. Parallèlement, un capital individuel peut, au prix de grandes difficultés, se déraciner du sol de son État national et se replanter dans un autre ; mais il ne peut opérer à long terme dans une situation de Far West sans un État efficace pour le protéger à la fois contre les forces d’en bas qui peuvent troubler le rythme normal de l’exploitation, et contre d’autres capitaux et leurs États. »1Chris Harman, Zombie Capitalism, Chapitre 4. Chris Harman était un activiste anglais, membre du Socialist Workers Party en Angleterre dont il a dirigé le journal et participé au Comité central. Une partie de ses œuvres est accessible en ligne en français : https://www.marxists.org/francais/harman/
Le militaire occupe ainsi une place déterminante dans le développement des États et capitaux nationaux. Mais cette place n’est pas toujours la même d’un État à l’autre, selon sa position dans la compétition économique, sa stabilité politique, la place laissée à l’armée dans les institutions politiques, etc. Et il y a en France une particularité vis-à-vis du militaire qui est selon Claude Serfati2Claude Serfati est économiste, chercheur associé à l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales), et au CEMOTEV (Université Versailles-Saint-Quentin) et membre du conseil scientifique d’Attac. « avec les États-Unis, et sans doute plus que ce pays depuis quelques années, le seul grand pays occidental dont l’interaction entre l’influence économique et l’interventionnisme militaire soit aussi forte. »3Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017
You that build the death planes
You that build the big bombs
You that hide behind walls
You that hide behind desks
Bob Dylan, Masters of War (1963)
L’accumulation dans la compétition militaire
Au cœur de la question militaire, il y a les armées : des armes, du matériel, des soldats, des vétérans, des formations, une organisation ; l’argent nécessaire pour financer tout cela est prélevé sur la plus-value réalisée par les économies. Cette portion de la richesse ne reviendra jamais dans l’économie productive et est consacrée uniquement aux moyens de destruction dont l’accumulation au « niveau nécessaire pour garantir la victoire dans la guerre dépend de la même tendance à accumuler des moyens de production que la lutte pour les marchés »4Chris Harman, Zombie Capitalism, Chapitre 4.
Depuis le début de l’emprise capitaliste sur les sociétés occidentales, les montants des dépenses consacrés à la défense et à la sécurité5Il s’agit de dépenses militaires auxquelles on ajoute aussi les dépenses de sécurité intérieure (police, gendarmerie nationale, etc.) ont atteint des niveaux inédits dans l’histoire de l’humanité et n’ont cessé d’augmenter. Et la tendance s’accélère actuellement : voilà des années que les États se réarment.
2021 a été la septième année consécutive d’augmentation des dépenses militaires dans le monde et la première fois qu’elles dépassent 2 000 milliards de dollars constants6Les dollars constants correspondent à un calcul qui permet d’éliminer les variations du pouvoir d’achat du dollar au fil du temps et donc de comparer des investissements dans le temps sans subir l’effet de l’inflation, plus de 2 % des 100 000 milliards de richesse produite dans le monde cette année-là. Pour mesurer l’accélération de cette tendance, voici les dépenses militaires dans le monde en dollars constants depuis les années 1990. À noter que l’augmentation des dernières années est notamment portée par les pays d’Europe et d’Asie :
- En 1990 (année précédant la dislocation de l’URSS) : 1 450 milliards
- En 2002 (année de l’invasion de l’Irak par les États-Unis) : 1 225 milliards
- En 2009 (après la crise économique de 2008) : 1 798 milliards
- En 2015 (après l’invasion du Dombass par la Russie) : 1 742 milliards
- En 2021 : 2 000 milliards
Depuis 2001, il y a eu 35 000 milliards de dollars en dépenses militaires dans le monde. 44 % des dépenses ont été faites par les États-Unis, 9 % par la Chine et derrière ces deux puissances, 8 États ont dépensé entre 900 et 1 200 milliards de dollars : Royaume-Uni, Arabie saoudite, Inde, France, Russie et Japon puis l’Allemagne et la Corée du Sud qui sont en train d’aligner leur niveau de dépenses sur ces autres puissances.
Les budgets de défense et de sécurité de l’État français parmi les plus élevés du monde depuis 1949
Chaque année, depuis au moins 19497L’institut SIPRI ne fournit pas de données avant cette date
https://www.sipri.org/databases/milex, la France a été parmi les dix pays qui ont fait le plus de dépenses militaires, maintenant un niveau d’accumulation que seules certaines économies pouvaient soutenir, comme celles des États-Unis, du Japon, de l’Allemagne (Allemagne de l’Ouest puis Allemagne réunifiée), du Royaume-Uni et de la Russie (URSS puis Russie). En 2021 en France, près de 54 milliards de dollars ont été consacrés aux budgets de la défense et de la sécurité. Si l’on devait mesurer les tendances d’une société capitaliste aux investissements qu’elle fait, il est intéressant de rappeler que cette année-là, le budget de l’éducation nationale était de 64 milliards de dollars (55 milliards d’euros).
Cette position parmi les États les plus actifs dans la compétition militaire est une tendance qui s’observe sur le temps long en France. Armement et armée ont accompagné le développement du capitalisme français et lui ont permis de prendre sa place parmi les plus grandes puissances occidentales, de s’étendre et de s’enrichir avec l’esclavage puis la colonisation : « La situation coloniale c’est d’abord une conquête militaire continuée et renforcée par une administration civile et policière »8Frantz Fanon. La place occupée par le militaire, la nature de l’accumulation de moyens de destruction et les moyens mis en œuvre pour la mener ont pris leur forme actuelle lors du retour du général de Gaulle en 1958, quelques jours seulement après une tentative de coup d’État menée par plusieurs généraux qui voulaient maintenir l’Algérie parmi les colonies françaises et qui le soutiendront dans sa prise de pouvoir.
De Gaulle permettra d’asseoir l’armée comme colonne vertébrale de la république française avec un changement de régime et une doctrine de défense « indépendance – dissuasion – conscription »9 Rappelé dans ce discours par le Secrétaire générale du Secrétariat générale de la Défense et de la Sécurité nationale SGDSN http://www.sgdsn.gouv.fr/discours/la-defense-et-les-moyens-de-lindependance-strategique-hommes-industries-capacites/ qui se déclinera à travers l’armement nucléaire (sur lequel viendra s’appuyer le nucléaire civile), une armée capable d’intervenir partout (et notamment en Afrique) et la défense du territoire qui s’est appuyée sur la conscription jusqu’à la suspension du service militaire par Jacques Chirac en 1997 pour privilégier alors une armée professionnelle.
Dès les premières années de la 5e République, de 1959 à 1966 « les grands programmes atomiques, militaires, aéronautiques et spatiaux ont représenté 65 % de l’ensemble de la recherche publique et autour de 70 % dans les années 70 »10Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 118 . Après la guerre d’Algérie et la défaite infligée à l’armée française, l’accumulation prend une nouvelle direction et se concentre sur le nucléaire et ce sont alors jusqu’à environ 50 % des dépenses d’équipement totales qui vont à l’effort nucléaire de 1965 à 196911Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 58. . Les recherches nécessaires au nucléaire militaire sont venues amorcer puis ont alimenté dans le temps le champ du nucléaire civil faisant actuellement de la France le troisième producteur mondial d’électricité nucléaire dans le monde (à égalité avec la Chine, loin derrière les États-Unis et loin devant le quatrième pays la Russie), le pays le plus dépendant de l’énergie produite par son parc nucléaire (69 %, l’Ukraine est deuxième avec 55 %)12https://pris.iaea.org/PRIS/WorldStatistics/NuclearShareofElectricityGeneration.aspx et la quatrième puissance nucléaire militaire en terme de têtes nucléaires13https://sipri.org/media/press-release/2022/global-nuclear-arsenals-are-expected-grow-states-continue-modernize-new-sipri-yearbook-out-now.
France : troisième exportateur d’armes
Le capitalisme français concentre 11 % des exportations d’armement sur la période 2017-2021, c’est le troisième exportateur d’armes au niveau mondial sur cette période. Si elle reste devancée par les États-Unis qui représentent 39 % de ces exportations et la Russie qui en comptabilise 19 %, la France est largement devant la Chine qui n’en concentre que 4,6 % sur cette même période.
Et pour exporter des armes, il faut évidemment les produire. Et de ce point de vue aussi, la place qu’occupe le militaire dans l’appareil productif du capitalisme français est démesurée14Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 89 :
- Sur les 50 premières usines de France par effectifs salarié·e·s, 15 appartiennent à des groupes engagés dans la production militaire aéronautique, navale et terrestre. Seul le secteur de l’automobile est plus représenté avec 17 usines.
- Les plus grands groupes à production militaire (moins d’une dizaine) comptaient en 2012 pour 22 % de l’ensemble des dépenses de recherche et de développement des 50 premiers groupes industriels français.
- 6 % des effectifs de l’industrie manufacturière sont salarié·e·s de l’industrie et sont concentrées dans quelques régions comme l’Île-de-France, 12 % des emplois de l’industrie qui sont dans le secteur de la défense, et Provence-Alpes-Côte d’Azur 20 %
Ces données attestent de la centralité de la défense et de la sécurité dans le système nationale d’innovation et de production ainsi que de la spécialisation de l’industrie française sur les marchés militaires et les industries proches comme le nucléaire et l’aéronautique qui se fait au détriment d’autres secteurs industrielles (équipements industriels, biens de consommation etc.).
Autrement dit, il faut envisager la centralité de l’industrie de défense et de sécurité non pas comme le moyen pour le capitalisme français de préserver son industrie, mais plutôt comme le facteur principal de l’affaiblissement de l’industrie manufacturière. C’est parce que le capitalisme français a investi massivement dans ce secteur que d’autres ont reculé, victimes de la compétition économique d’autres états et capitalismes nationaux.
They hit the world trade, the Pentagon, and almost got the White House
now everybody walkin’ round patriotic
How we gon’ fight to keep freedom when we ain’t got it ?
You wanna stop terrorists ?start with the U.S. imperalists 16
Dead Prez, Know your enemy (2002)
Une armée qui fait la guerre sans compter
Il n’existe aucun décompte officiel des interventions menées par l’armée française à l’extérieur. Cela ne signifie pas que l’État français et l’armée française ne communiquent pas sur certaines opérations extérieures (OPEX), mais rien ne les oblige à le faire, ni avant, ni pendant, ni après. Le « droit de faire la guerre » est celui du président de la République, il peut décider seul d’envoyer des troupes, sans consulter ni ministre, ni gouvernement, ni Parlement.
Le dernier rapport parlementaire sur le sujet date de 2015 et a dénombré 111 opérations militaires menées à l’extérieur des frontières de l’État français entre 1991 et 2015 et 25 opérations en cours cette année-là. Ce qui est certain c’est que l’armée française fait la guerre dans des conflits d’envergure ou mène des occupations dont l’initiative est celle de l’État français seul : en 2011 en Lybie ; de 2013 à 2022 au Mali jusqu’à ce que l’État malien ne demande à l’armée française de quitter son territoire ; en République centrafricaine de 2013 à 2016 ; dans des conflits sous commandement de l’Otan en Afghanistan, en Irak ou au Liban pour ne parler que des guerres les plus récentes.
Les contingents les plus importants de soldats et les durées les plus longues d’occupations ont, dans la très grande majorité des cas, lieu en Afrique où l’armée française honore les « accords de défense » en appui du capitalisme français et des « accords de partenariat économique » facilités par le franc CFA et la Francophonie. La sécurisation de zones de marché, de zones d’influences, de ressources ou de matières premières est la raison pour laquelle l’armée française vient garantir « la présence de la France dans une Afrique convoitée »15 Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par le groupe de travail sur la présence de la France dans une Afrique convoitée https://www.vie-publique.fr/rapport/33604-presence-de-la-france-dans-une-afrique-convoitee pour reprendre le titre d’un groupe de travail du Sénat en 2013.
Toujours en 2013, avant que l’opération Barkhane ne soit en place, des soldats des forces spéciales de l’armée française avait été envoyée pour protéger les mines d’Uranium exploitées par Areva16https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/02/01/des-reservistes-des-forces-speciales-deployes-sur-les-sites-d-areva-au-niger_1825929_3212.html qui est chaque année parmi les 3 entreprises qui produisent le plus d’Uranium avec les entreprises Cameco et Kazatomprom, une entreprise canadienne et une entreprise kazakhe, deux pays disposant de mines d’Uranium sur leur territoire national. L’État français est « dépendant des seules mines du Niger pour son approvisionnement en uranium à usage stratégique militaire »17https://survie.org/billets-d-afrique/2017/267-mai-2017/article/niger-une-base-strategique-pour-la-france-et-ses-allies et y a replié les troupes de l’opération Barkhane chassée par l’État malien.
Et pour prendre l’exemple d’un autre grand groupe du capitalisme français : Total produit près de 30 %18https://survie.org/billets-d-afrique/2019/288-juillet-aout-2019/article/total-et-francafrique-l-histoire-evolue-mais-continue de son pétrole et de son gaz en Afrique. Total est aussi l’entreprise qui a réalisé en 2021 les bénéfices les plus importants (14 milliards d’euros19En ça va augmenter encore en 2022 : « TotalEnergies a déjà annoncé en juillet 2022 avoir réalisé plus de 17,7 milliards d’euros de profits (18,8 milliards de dollars) sur le seul premier semestre 2022 [1]. Soit presque trois fois plus que sur le premier semestre 2021 » : https://basta.media/superprofits-totalenergies-n-a-pas-paye-d-impot-sur-les-societes-en-france-depuis-deux-ans ) parmi les 40 entreprises du CAC40, l’année où les bénéfices des 40 plus grandes entreprises du capital national n’ont justement jamais été aussi hauts20https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/totalenergies-annonce-un-benefice-gigantesque-de-14-milliards-d-euros-pour-2021_4953384.html.
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Boris Vian, Le Déserteur (1954)
Macron, champion de l’impérialisme français
La loi de Programmation militaire 2019-2025 que Macron avait faite voter par le Parlement en 2019 prévoyait une augmentation progressive des budgets militaires de 41 % sur la période et de 71 % si on compare ce qui était prévu en 2025 par rapport au montant des dépenses de 2018. Elle prévoyait par exemple 37 milliards d’euros pour le renouvellement de l’arsenal de dissuasion nucléaire (naval et aérien). Macron a cependant décidé que cette augmentation, pourtant spectaculaire, n’était pas suffisante et a annoncé la veille du défilé militaire annuel du 14 juillet dernier, qu’il avait demandé à son ministre des Armées de la réévaluer à l’horizon de 2030 « pour mener certains investissements et réorienter certaines actions »21https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/07/13/discours-aux-armees-a-lhotel-de-brienne-1 et que cette loi sera votée début 2023.
Macron a également poursuivi l’effort constant de l’État français dans sa volonté d’élever le niveau d’implication dans la compétition militaire de l’Union européenne22 https://www.publicsenat.fr/article/politique/macron-propose-une-vraie-armee-europeenne-135122, dans l’espoir de pouvoir éventuellement accélérer l’accumulation de moyens de destruction de l’armée française (si l’UE lui apporte un soutien financier) voire d’augmenter les moyens de destruction sous le commandement de l’armée française en tant que seule puissance nucléaire et aussi en tant qu’armée la plus puissante et expérimentée. Cette avantage comparatif est favorable à l’État et au capitalisme français et est un contrepoids à son influence économique déclinante face notamment au capitalisme allemand au sein de l’UE. Il y a un domaine d’accumulation de moyens de destruction dans lequel les pays de l’Union européenne ont rapidement trouvé des intérêts communs : le contrôle des frontières. La militarisation de Frontex financée par l’Union européenne et les pays membres de l’union s’est accompagnée d’une augmentation de son budget passé de 19 millions d’euros en 2004 (date de la création de l’agence) à 758 millions en 2022 et d’une augmentation de son niveau de destruction. L’application des accords de Schengen23En 2021, l’espace Schengen regroupe 26 États : 22 des 27 membres de l’Union européenne (UE). La Bulgarie, la Roumanie, Chypre et la Croatie n’y participent pas encore. L’Irlande, quant à elles, bénéficie d’un statut particulier et ne participe qu’à une partie des dispositions Schengen ; quatre États associés, non-membres de l’UE : Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein en 1995 s’est faite à condition de verrouiller les frontières : 40 555 personnes24https://voxeurop.eu/fr/frontex-les-politiques-migratoires-de-lue-ont-tue-plus-de-40-000-personnes-depuis-1993-une-campagne-pour-abolir-frontex/ sont mortes en voulant rejoindre l’Union européenne depuis 1993 ; et d’externaliser la tragédie qu’elles engendrent : Frontex intervient désormais hors de l’espace Schengen, comme en Lybie et au Niger.
L’impérialisme français prêt à mordre au piège de la guerre
Les États-Unis sont la puissance économique et militaire la plus dominante depuis la Seconde Guerre mondiale. La compétition économique et militaire avec l’URSS s’est terminée avec sa dislocation en 1991. Entre temps, le conflit entre ces deux puissances a poussé à plusieurs reprises l’ensemble de l’humanité aux précipices d’un conflit nucléaire.
La concurrence de l’hégémonie américaine est désormais menée par la Chine et se joue à nouveau pleinement aux niveaux économiques et militaires qui viennent se cristalliser autour des zones d’influence respectives située au sein d’une zone que Macron a placée au cœur de sa stratégie militaire dès 2018 dans la loi de Programmation militaire 2019-2025 : l’Indopacifique25https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/asie-oceanie/l-espace-indopacifique-une-priorite-pour-la-france/. Cette zone couvre l’ensemble des pays qui ont un accès direct à l’océan Indien (de la côte Est de l’Afrique jusqu’à l’Australie à l’Ouest et l’Inde au Nord) et au sud de l’océan Pacifique (de la Nouvelle-Zélande jusqu’à la Corée du Sud et la Corée du Nord, le Japon et la Chine en incluant toutes les îles dont Taïwan).
Au-delà de l’intérêt stratégique de la zone qui concentre 60 % de la population mondiale et des richesses produites chaque année et deux tiers de la croissance économique, l’État français y contrôle des territoires conquis durant son expansion coloniale, des bases militaires et des zones d’influence : 93 % de sa zone économique exclusive (espace maritime souverain) est située dans les océans Indien et Pacifique. Au total, 1,5 million d’habitant·e·s y résident, ainsi que 8 000 militaires en permanence.
Le développement du conflit entre la Chine et les États-Unis dans ses aspects économiques et militaires est amené, étant donné le poids de ces deux puissances dans l’accumulation de moyens de production et de destruction, à prendre des proportions qui concerneront certainement la majorité des États à travers le monde. L’affaiblissement économique du capitalisme français, sa dépendance inédite à l’armement et à l’interventionnisme de son armée, le nationalisme de sa bourgeoisie obsédée par sa propre grandeur qui s’estompe sont les rails qui mèneront l’impérialisme français à vouloir précipiter toute la société dans la guerre et notre classe dans les cimetières. La guerre nécessite de construire une union nationale qu’il va nous falloir combattre en toutes occasions.
L’instabilité du pouvoir politique de Macron et de la classe bourgeoise dans un contexte de crise économique majeure s’illustre aussi à travers le renforcement continu depuis plusieurs années de l’ensemble des moyens assignés à la police (armes, recrutement, lois…) qui s’est, elle aussi, militarisée.
L’armée a également un rôle de maintien de l’ordre. Par exemple, à travers les missions et fonctions de la gendarmerie (force armée en charge de fonctions de police) régulièrement aux côtés de la police dans les répressions de mouvements sociaux, dans les déclarations récentes de Darmanin qui veut ouvrir à Mayotte des lieux de rééducation et de redressement pour mineurs qui seraient encadrés par des militaires ou bien dans le développement économique, idéologique et politique de la « guerre contre le terrorisme » menée par les puissances occidentales pour justifier des guerres à l’extérieur des frontières aussi bien que des politiques sécuritaires et racistes à l’intérieur des frontières.
À propos de ce rôle de maintien de l’ordre, Robert Paxton26Robert Paxton, historien américain, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale : http://revueperiode.net/une-breve-histoire-de-limperialisme-francais/ nous rappelle ce qui distingue encore l’armée française des autres : « la France n’était certes pas, à la fin du 19e siècle, le seul pays en europe où les troupes régulières réprimaient les grèves industrielles mais ce n’est qu’en France qu’on vit l’armée reconquérir la capitale à la manière d’une forteresse ennemie et cela par deux fois en 1848 et 1871. »
Mathieu Pastor (Paris 20e)
Notes
↑1 | Chris Harman, Zombie Capitalism, Chapitre 4. Chris Harman était un activiste anglais, membre du Socialist Workers Party en Angleterre dont il a dirigé le journal et participé au Comité central. Une partie de ses œuvres est accessible en ligne en français : https://www.marxists.org/francais/harman/ |
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↑2 | Claude Serfati est économiste, chercheur associé à l’IRES (Institut de recherches économiques et sociales), et au CEMOTEV (Université Versailles-Saint-Quentin) et membre du conseil scientifique d’Attac. |
↑3 | Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017 |
↑4 | Chris Harman, Zombie Capitalism, Chapitre 4 |
↑5 | Il s’agit de dépenses militaires auxquelles on ajoute aussi les dépenses de sécurité intérieure (police, gendarmerie nationale, etc. |
↑6 | Les dollars constants correspondent à un calcul qui permet d’éliminer les variations du pouvoir d’achat du dollar au fil du temps et donc de comparer des investissements dans le temps sans subir l’effet de l’inflation |
↑7 | L’institut SIPRI ne fournit pas de données avant cette date https://www.sipri.org/databases/milex |
↑8 | Frantz Fanon |
↑9 | Rappelé dans ce discours par le Secrétaire générale du Secrétariat générale de la Défense et de la Sécurité nationale SGDSN http://www.sgdsn.gouv.fr/discours/la-defense-et-les-moyens-de-lindependance-strategique-hommes-industries-capacites/ |
↑10 | Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 118 |
↑11 | Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 58. |
↑12 | https://pris.iaea.org/PRIS/WorldStatistics/NuclearShareofElectricityGeneration.aspx |
↑13 | https://sipri.org/media/press-release/2022/global-nuclear-arsenals-are-expected-grow-states-continue-modernize-new-sipri-yearbook-out-now |
↑14 | Claude Serfati, Le militaire, Une histoire française, Éditions Amsterdam, 2017, p. 89 |
↑15 | Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par le groupe de travail sur la présence de la France dans une Afrique convoitée https://www.vie-publique.fr/rapport/33604-presence-de-la-france-dans-une-afrique-convoitee |
↑16 | https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/02/01/des-reservistes-des-forces-speciales-deployes-sur-les-sites-d-areva-au-niger_1825929_3212.html |
↑17 | https://survie.org/billets-d-afrique/2017/267-mai-2017/article/niger-une-base-strategique-pour-la-france-et-ses-allies |
↑18 | https://survie.org/billets-d-afrique/2019/288-juillet-aout-2019/article/total-et-francafrique-l-histoire-evolue-mais-continue |
↑19 | En ça va augmenter encore en 2022 : « TotalEnergies a déjà annoncé en juillet 2022 avoir réalisé plus de 17,7 milliards d’euros de profits (18,8 milliards de dollars) sur le seul premier semestre 2022 [1]. Soit presque trois fois plus que sur le premier semestre 2021 » : https://basta.media/superprofits-totalenergies-n-a-pas-paye-d-impot-sur-les-societes-en-france-depuis-deux-ans |
↑20 | https://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/totalenergies-annonce-un-benefice-gigantesque-de-14-milliards-d-euros-pour-2021_4953384.html |
↑21 | https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/07/13/discours-aux-armees-a-lhotel-de-brienne-1 |
↑22 | https://www.publicsenat.fr/article/politique/macron-propose-une-vraie-armee-europeenne-135122 |
↑23 | En 2021, l’espace Schengen regroupe 26 États : 22 des 27 membres de l’Union européenne (UE). La Bulgarie, la Roumanie, Chypre et la Croatie n’y participent pas encore. L’Irlande, quant à elles, bénéficie d’un statut particulier et ne participe qu’à une partie des dispositions Schengen ; quatre États associés, non-membres de l’UE : Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein |
↑24 | https://voxeurop.eu/fr/frontex-les-politiques-migratoires-de-lue-ont-tue-plus-de-40-000-personnes-depuis-1993-une-campagne-pour-abolir-frontex/ |
↑25 | https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/asie-oceanie/l-espace-indopacifique-une-priorite-pour-la-france/ |
↑26 | Robert Paxton, historien américain, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale : http://revueperiode.net/une-breve-histoire-de-limperialisme-francais/ |