Luttes de classes : les bases de l’antagonisme

Les Cahiers d’A2C #15 – décembre 2024

Dans l’article paru dans le dernier numéro des Cahiers sur la lutte des classes1, Ross Harrold, aborde de nombreux aspects (l’histoire, le capitalisme mondial, comment les idées changent…).

De manière surprenante, il n’aborde que superficiellement ce qui en est la source : le rapport d’exploitation. Or c’est ce rapport, indépendant de la volonté et des idées de ses protagonistes qui est à la base de la division entre classes et de l’antagonisme irréductible entre elles. Il explique tant la lutte des classes que la nécessité révolutionnaire.

Dans sa définition la plus générale, l’exploitation est le phénomène par lequel une minorité s’accapare une partie (plus ou moins grande) de ce qui est produit par la majorité.

Sous le capitalisme, la définition est beaucoup plus précise et les formes qu’elle prend sont spécifiques.

Les travailleur·euses sont payé·es pour mettre toute leur capacité de travail (ce que Marx appelait la force de travail) à la disposition des patrons chaque jour. La valeur de cette force de travail est déterminée par ce qu’il faut pour la produire et la reproduire.

Elle est considérablement inférieure à la valeur du travail produit. La différence, accaparée par les capitalistes, est ce que Marx appelait la « plus-value », qui est la source du profit.

Les patrons sont sous pression constante pour augmenter cette plus-value. Soit de manière absolue (par exemple en allongeant la journée de travail) ou de manière relative (en augmentant la productivité du travail). D’où l’antagonisme permanent entre patrons et travailleur·euses (salaires, conditions de travail). Ce qui ne peut se résoudre que par la fin du rapport lui-même.

Le capitalisme est un système global qui relie (notamment au travers du marché) les capitaux et les travailleur·euses entre elles et eux. Ce rapport ne se joue donc pas uniquement à l’échelle de chaque lieu de travail ou de chaque entreprise, mais à l’échelle de toute la société et s’exprime au travers des politiques des Etats, des institutions internationales, etc.

Il est aussi un système global parce qu’il résulte d’un processus historique en s’articulant à de multiples autres rapports de domination (racisme, sexisme…).

La compréhension précise de ce mécanisme n’est pas un enjeu de connaissance savante. 

Il en découle notamment :

  1. que cet antagonisme est ce qui ne cesse de produire des conflits indépendamment de la volonté, des idées de ses protagonistes. La lutte de classes n’est pas d’abord le produit de la conscience de classe des travailleur·euses. Pas plus qu’elle n’est d’abord celui du cynisme et de la cupidité des capitalistes. C’est la conscience de classe qui est le produit de la lutte tout comme la cupidité et le cynisme des capitalistes est le produit de leurs intérêts de classe.
  2. que cet antagonisme joue sur l’ensemble des rapports sociaux et qu’il est autant illusoire de croire que la lutte contre le racisme ou le sexisme peuvent être menées indépendamment de lui que de penser qu’une conscience de classe puisse se développer hors de ces luttes.
  3. que cet antagonisme ne peut se résoudre en dehors du renversement de toute la structure dont il est la base. La révolution n’est pas un choix : c’est une nécessité.

Cela signifie que cette analyse a des conséquences sur tous les débats stratégiques qui émergent dans tout mouvement, du plus localisé au plus global, que ce se soit au cours d’une grève (s’agit-il de négocier une « plus juste » répartition des richesses ?), du rapport à l’État (est-il neutre ?), de la lutte contre le racisme (les travailleur·euses blanc·hes sont-ils/elles privilégié·es ?).

En n’allant pas à la base de la question de la lutte des classes, sans doute par souci de rendre accessible la théorie, Ross ne nous arme pas. Construire l’autonomie de classe c’est aussi se forger collectivement des armes théoriques en acier, aussi antagonistes avec les idées dominantes que nos intérêts le sont du capitalisme.

Denis Godard, Paris 20e
  1. La lutte des classes au 21ème siècle, article paru dans la revue #14 ↩︎